Boire la tasse peut nuire grandement à la santé. Surtout s'il s'agit de l'eau de la piscine, où barbotent et pissent des dizaines de gamins d'autant plus joyeux qu'ils sont bronzés. Mais vous vous en doutez, lectrice adorée, si j'affirme une telle évidence avec autant de force, c'est que les dés sont pipés. Vous avez raison, il ne s'agit ici ni de boire le bouillon, ni de boire comme un trou, jusqu'à être ronde comme une boule carrée. Que nenny ! Je ne parlerai aujourd'hui que de boire une tasse de thé, car, premièrement, c'est une occupation qui en vaut une autre, et secondement, cela vous ira comme un gant : ce n'est ni épuisant physiquement ni gourmand en ressources intellectuelles...
D'une part, les vertus du thé ne sont plus à démontrer. D'autre part, la plante Camellia Sinensis, à l'origine chinoise, possède des vertus à nulle autre pareille : clarification de vos pensées nébuleuses, dissipation de vos humeurs matinales, atténuation des langueurs digestives, élimination alcoolique, diminution diarrhéique, dissolution catégorique de vos mucosités. L'augmentation rapide de la vigilance et son action stimulante sur l'intellect ne pourront vous faire que le plus grand bien !
Enfin, s'il était besoin de vous convaincre d'avantage, sachez que cette boisson est la plus répandue sur la planète après l'eau. Elle est économique, gustative, et se prête à l'art de la méditation, au calme, à la saine discussion, voire au silence mystique. Même ma tantine Lisbeth, celle-là même qui assassina son mari parce qu'en son absence, il avait omis de tondre le gazon anglais qu'elle avait mis plusieurs années à élever, même elle boit du thé régulièrement, depuis qu'elle est en prison. Elle a enfin compris qu'ajouter un peu de calme dans sa vie devenait une nécessité absolue. C'est dire.
Ce qu'il faut impérativement, avant toute chose, c'est obtenir des ustensiles appropriés. Pour une fois, soyez rigoureuse, que diable, refusez l'inélégance, la couleur criarde, le décor surranné, le style kitsh et autres gamineries laissant la part belle à Mickey et Donald ! Trouvez-vous l'objet ad hoc : "Vous le valez bien !" comme dirait la greluche de service en vantant les mérites d'une crème à enrichir les petits malins. Que vous achetiez votre tasse chez un anticailleur, ou dans une boutique de luxe luxueuse, ou bien encore en hyper grande surface, ou même à un stand sur tréteaux en bois de sapin du nord de brocanteur, peu importe. Ce qui compte, c'est de la choisir avec soin, votre tasse. Car elle va devenir quotidienne, familière jusqu'à devenir aussi intime que votre oreiller rembourré en poils de yack né pas laid.
Ne mégottez pas sur l'esthétique, offrez-vous LA tasse de vos désirs les plus secrets, celle qu'enfant, vous admiriez pendant de longues secondes, sans pouvoir détacher votre regard embué par un émerveillement juvénile dont il ne reste que de trop lointains souvenirs. Soupesez-là, testez là, caressez-là, retournez-là, inspectez-là. Si vous manquez d'idée, j'accours : il peut s'agir d'un bol à pied, d'un élégant mazagran, d'un mug, d'une choppe droite, d'un picheton élancé, d'un gobelet à l'antique, d'une tasse à déjeuner paysanne... Selon vos goûts, son décor sera floral, blanc marbré, ou finement précieux...
Il est une évidence qu'il est bon de rappeler en ces lignes... Je suis certain que vous apprécierez, le moment venu, ce rafraîchissement de mémoire : pour les droitières, l'anse doit être disposée à droite - c'est un minimum pour une tasse de ce prix. Les gauchères, bien évidemment, n'ont pas besoin de conseil de ce genre : elles ont l'habitude du mépris ordinaire des droitiers. Oh, oui, à la lecture de ces précédentes lignes, toutes gémissent, j'en entends qui rouspètent, d'autres qui soupirent, j'en vois d'autres qui haussent les sourcils d'un air malheureux.
Si vous êtes droitière, gente dame, insister avec si peu d'égards à votre intelligence résiduelle, vous semblera une incongruité. Je répète que l'anse doit être à droite, pour vous. Car vous croyez faire la maligne, pourvoir changer le cours des choses, et saisir la tasse de thé fumante de l'autre main. J'en connais qui ont essayé... Leurs genoux furent mouillés, ébouillantés, rougis, déshonorés. Las, je ne chercherai pas à vous convaincre : tentez l'expérience, vous m'en direz des nouvelles !
Plus le geste semble simple, plus il a de chances de se retourner contre vous. Je peux vous certifier que j'ai vu, de mes yeux vu un plouc s'en mettre plein la braguette, pour n'avoir pas daigné suivre les règles les plus élementaires. Certes, il s'agissait d'un plouc, et non d'une citoyenne exceptionnelle, experte comme vous en tâches ménagères et matérielles. Pourtant, croyez-moi si vous voulez, boire le thé de l'autre main est plus dur que d'enfiler une aiguille dans un pot de yahourt sur la côte bretonne un jour de grand vent.
D' ailleurs, je me souviens d'une jeunette musulmaniaque du sud de l'Ardèche, dévote au Coran jusqu'à la déraison, qui avait gagné Jérusalem à pied dans l'intention d'implorer le secours d'Allah en la mosquée, afin de réussir enfin à boire son thé de l'autre main... Alors que son voyage touchait presque au but, elle s'est fait éclater la citrouille par une poignée de Palestiniens qui l'ont prise pour une espionne. Ils furent d'autant plus agressifs qu'elle était à la fois voilée et portait un Lewis moulant, et qu'elle était fichtrement bien roulée. Alors, je vous en prie, abandonnez une fois pour toutes vos croyances d'un autre siècle et buvez plutôt votre thé de la bonne main, celle-là même avec laquelle vous vous brossez les dents, et grâce à laquelle vous abattez une multitude de tâches dont l'énumération serait longue et fastidieuse.
Autre point d'importance existentielle, le choix de la plante doit être draconien. Ecartez sans regrets les infusettes ridicules, qui ne contiennent que des résidus de fond de sacs et autres déchets industriels. N'y pensez même pas ! Enfin, sachez que le sachet fait tache sur la soucoupe, ce qui est évidemment insuportable. Voyez plutôt du côté du thé vert, qui a excellente réputation pour la santé. Préparez-le avec une eau peu chaude, à soixante-dix degrés, et s'il s'agit d'une plante de grande qualité, déscendez allègrement à cinquante. Laissez-vous séduire par la douceur poétique de la « spirale de jade du printemps », le Pi Lo Chun, produit dans la province de Jiangsu. Si vous tentez une excursion gustative au Japon, achetez du Shincha de l'île de Kyushu récolté en mai. Préparé avec une grande délicatesse, vous l'apprécierez aussi pour sa richesse en vitamines. ..
Votre théière sera admirée pour sa fonte ou sa terre cuite de belle apparence. Des fous préconisent l'argile de Yixing... De toutes façons, une bonne théière conserve l'empreinte du thé, et retiend la chaleur, permettant une infusion à plus basse température. En suivant les précieux conseils de cette page admirable, votre vie va changer. En mieux, et ce ne sera pas du luxe. Alors, heureuse ?