Jesuis commissaire de police. Dans mon commissariat, j'ai engagé un Thermicien. Pour les ignorants, le Thermicien du Commissaire est un type spécialisé dans le relevé des températures ambiantes. Or vous n'êtes pas sans savoir que pour enquêter correctement, il faut se tremper dans l'ambiance, sentir si elle est glaciale, tiède ou torride. C'est ce qui m'a permis d'obtenir de grands succès, dont la presse s'est fait l'écho de nombreuses fois. L'objet de ce texte est de prouver que, contrairement aux apparences, le cafard, le bourdon et la fourmi sont étrangers au "Crime de l'Orient Express". Trop souvent, on ne raconte que des stupidités à ce sujet, et c'est faire injure à la vérité que de ne pas parler de cette question avec toute la rigueur nécessaire.
Pour rappel, les premiers enquêteurs ont cru en la culpabilité d'un cafard dans cette affaire célèbre. Mais c'est absurde, car le cafard ne rumine pas sa vengeance. Par contre, il est exact que les humains ayant le cafard ruminent des idées noires. D'où la méprise ! D'autant que pour tout arranger, outre-atlantique, on ne dit pas "avoir le cafard" mais "avoir le blues". Est-ce parce que le cafard a des reflets bleus sur sa carapace ? La question reste pour l'instant sans réponse, mais j'ai ma petite idée :
pour moi, ça ne fait pas l'ombre d'un doute.
Deuxio, quand mon Sergent se plaint d'avoir le blues, je lui dis pour lui remonter le moral qu'il n'est qu'un gros hippopotame nageant dans sa boue, et donc, que c'est normal qu'il aie le cafard. Vous aussi, vous pouvez remonter le moral de mon Sergent, et lui dire qu'il n'est qu'un sale cafard pisseux et hirsute et vous verrez qu'il se vexe pas. Mon Sergent ne peut nier qu'il sent l'urine et ne se peigne jamais. Et comme l'hippopotame aussi, dites-vous bien que cela n'est pas le fruit du hasard.
Vous constatez comme moi que le cafard de mon Sergent ne peut en aucun cas être un élément déclencheur du crime. Et pour conclure cette brillante démonstration, je citerai le Thermicien du Commissaire : « Vu qu'un cafard est noir, qu'un noir a le blues quand il bave dans son saxophone, que son saxophone brille même dans une cave, et que descendre à la cave fait froid dans le dos, je déclare que l'ambiance est glaciale. » Ce qui, vous l'avouerez, est une citation qui prend tout son sens quand on sait que le coupable du crime était noir, saxophoniste, et cafardeux quand il a commis son forfait. CQFD.
Le bourdon est, comme le cafard, innocent. Et je vais le prouver. Certes, on dit aussi "avoir le bourdon" quand on a chopé le cafard. Mais c'est une cruelle méprise ! De même, quand on écrit que "Le gay facteur noir distribue des faire-part de décès", on ne sous-entend pas qu'il est joyeux, mais qu'il est homosexuel. Et c'est normal qu'il n'aie pas le moral, vu que son boulot, c'est de distribuer des faire-part de décès. Or son copain africain est mort du sida hier, alors ayez un peu de retenue, s'il vous plait. Et notez au passage que les faire-part ne prennent pas d's à la fin. De plus, si le facteur a le bourdon, c'est aussi parce que son chef de service n'a pas voulu lui donner un jour de congé pour l'enterrement de son copain. "T'es ni une femme ni un homme, t'es pas marié, et t'es pas blanc", qu'il a dit. "Alors, t'as pas de bol non plus, car y'aura pas de congés pour toi !" Bien qu'il fut noir et gay, le facteur a blanchi, vu rouge, et lui a mis un violent coup de boule dans le pif, à son chef de service, et à mon avis, il a pas eu tort.
Mais revenons à nos bestioles. Le bourdon vole comme tous les types de son genre, et vit en bande peu nombreuse. Il est voisin de l'abeille, et c'est pourquoi ils ne sont pas vraiment copains. A deux sur la bouffe, c'est pas un truc à favoriser les amitiés. L'abeille le traite d'erreur de la nature, rapport au bruit qu'il fait, pas discret pour un rond. C'est la raison de l'actuelle synonymie existant entre erreur et bourde et c'en est une grosse que d'oublier mot dans phrase. On dit alors il y a un bourdon dans ce texte et pourtant rien n'indique qu'il vole bas.
Le bourdon est velu comme la cuisse de Madame Ginette, et si tu connais pas Madame Ginette, tu perds rien, car elle te file le cafard rien qu'à la voir butiner derrière son bar. Madame Ginette est pourfendeuse de bibines au troquet du coin, et elle en boit une avec un client sur deux pour l'encourager au vice. On dit d'un insecte qu'il butine quand il va de fleur en fleur en amassant du pollen. Notre barmadame, elle aussi, butine, et pas qu'un peu. Ses clients ont la tronche aussi fleurie qu'un parterre de Mairie d'un bled de Haute Savoie, et c'est pourquoi nous disons de Madame Ginette qu'elle butine en bar (et non qu'elle tapine en bas, comme certains distraits l'affirment.)
Le bourdon est aussi une grosse cloche, et c'est pas l'abeille qui vous dira le contraire. D'ailleurs, c'est le bourbon qu'on sonne les jours de cafard. Et cela n'est pas le fruit du hasard. Et pour conclure cette brillante démonstration, je citerai le Thermicien du Commissaire : « Vu que le bourdon est jaune, que le jaune aux yeux bridés a le cafard quand il bave dans son petit noir, que le noir est invisible dans la cave, et que la cave est froide même quand il fait chaud dehors, je déclare que l'ambiance est glaciale ! » Ce qui, vous l'avouerez, est une citation qui prend tout son sens quand on sait que le coupable du crime a le teint jaune, qu'il est amateur de café, qu'il a le bourdon et le cafard, et qu'il est à cheval sur les principes. Quand il a fait une bourde, il ressent le besoin d'en parler pour se faire pardonner. Ce qui n'est pas vraiment indispensable, quand on est l'auteur du crime le plus fascinant de l'Histoire du Rail.
La fourmi est innocente, comme le bourdon et le cafard. Et je vais le prouver une fois de plus. Parfois, le recours au dictionnaire des synonymes provoque l'erreur fatale. Par exemple, on dit qu'on a le cafard, et le dico nous apprend qu'on a aussi le bourdon. Or on peut dire aussi "j'ai des fourmis dans les jambes..." Et c'est là que consulter le dictionnaire des synonymes peut s'avérer très vicieux : quand on cherche un synonyme de fourmi, on trouve insecte. À insecte, on trouve cafard, et à cafard, on trouve bourdon. Et à bourdon, que trouve-t-on ? Oui, t'as pigé, on trouve abeille !
Pourtant, on ne peut pas dire 'j'ai l'abeille', ni 'j'ai la blatte' et encore moins 'j'ai des cigales dans les jambes'. De même, quand l'on vous donne "une fourchette des prix", vous ne pourrez pas manger avec ! Comme vous le savez, l'un des synonymes de "fourchette des prix" est "variations". Allez chez le disquaire et demandez "les fourchettes Golberg de Jean Sébastien Bach, par Glenn Gould". Si la disquaire prend ses jambes à son cou, c'est pas parce qu'elle y a des fourmis, mais parce qu'elle fait son travail, et que s'agiter fait partie de son travail. On dit alors qu'elle fait un travail de fourmis et à force, elle dit "j'en ai plein les pattes moi aussi !"
Et comme la fourmi a six pattes, dites-vous bien que cela n'est pas le fruit du hasard. Autre preuve, et pas des moindres, la fourmi est un insecte de quelques millimètres de long, vivant en société. Les délicieuses petites fourmis aiment et respectent leur Reine féconde, ce qui est tout le contraire des Anglaises. D'ailleurs, vous dites "j'ai des fourmis dans les jambes" mais vous ne dites pas "j'ai des anglaises dans les jambes", sauf quand votre fille invite toutes les correspondantes londonniennes de son collège à prendre un coca dans le séjour. D'un seul coup, cela fourmille d'anglaises. Vous filez en catimini. Un conseil : ne dites pas "je file à l'anglaise", cela jetterait un froid. Dites plutôt que vous avez "des fourmis dans les jambes", les petites londoniennes ne pigeront que dalle, mais votre fille comprendra, elle !
Alors, pour conclure cette brillante démonstration, je citerai le Thermicien du Commissaire : « Vu que le cafard est noir, que le noir a le bourdon, que le bourdon fait un travail de fourmi, que la fourmi est rouge, que le rouge est servi trop frais pour un Bourgogne, Madame Ginette, servez-moi plutôt un petit noir, j'ai le bourdon, et cela me donne des fourmis dans les jambes quand je vois qu'il y a des cafards qui remontent de la cave. Et de plus, y fait pas chaud, ici, l'ambiance est glaciale ! »
Donc, si vous avez bien suivi, vous en concluerez comme moi que c'est Madame Ginette qui a fait le coup. Elle est la seule qui picole souvent, (tout le monde dit qu'elle est noire, d'où la méprise, car bien sûr, elle n'est pas africaine) et c'est la seule personne qui a une clé de la cave. De plus, elle joue du saxophone dans sa cave quand elle est ivre, elle a pas le moral, elle sent l'urine, ne se peigne pas souvent, elle a le cafard, elle a teint jaune, le boudon, et elle a des fourmis dans les jambes. Pour finir, elle est à cheval sur les principes ! Cela fait beaucoup de coïncidences, non ? D'autant que la seule fois de sa vie où elle pris le train, c'est pour aller en Orient.
CQFD Les cafards, les bourdons et les fourmis sont totalement étrangers à l'affaire. Pour une fois, la justice sera rendue avec sérénité.